Depuis Chamonix, j’attends des nouvelles de Korra qui est en Patagonie. Il m’a donné son heure estimée au sommet de la face nord du Cerro Torre. Six années que nous sommes partenaires de vie et il est toujours autant fasciné par cette face mythique. Cette voie de 1200m, à 90 degrés, dans une ambiance patagonienne aux conditions extrêmes, il l’a déjà répétée mais sans atteindre le sommet. La vie selon lui ne se rêve pas, mais elle vaut la peine de vivre ses rêves. Ce soir-là, le téléphone ne sonne pas. Son rêve, il l’a réalisé. Émus et fiers avec son partenaire de cordée, « summit » se sont-ils réjouis ! Aujourd’hui, il me reste ce sourire gravé dans ma mémoire, nos voyages en amoureux pour rêver, ses articles relatant ses performances comme ses 15 voies gravies de la face nord des Grandes Jorasses.
Ma plus belle perf à moi cette année ? Vivre ! Durant leur descente, ils ont été victimes d’une avalanche. Son partenaire s’en est sorti vivant, il a été secouru par les secours d’El Chalten. Korra est resté sur la paroi, gravement blessé, il ne pouvait se mouvoir et les secours ne pouvaient l’atteindre par mauvais temps. Au même instant, l’avalanche venait de balayer ma vie. Je me souviens alors de son dernier appel, en partance pour le Cerro Torre : « Je t’aime Lucie, je te prends ton billet d’avion pour que tu me rejoignes après le Cerro Torre et je te partagerai mes rêves ici.«
Avant son départ pour la Patagonie, je concrétisais l’envie de devenir rédactrice indépendante, je quittais mon travail et je me retrouvais sans salaire. Korra m’accompagnait dans cette reconversion. Ainsi, je me retrouve séparée de la personne sur qui je pouvais compter, en amour comme en finance. Avec Korra, on était pacsé et il a une fille, Leïa. Il était de citoyenneté italienne, domicilié en France et l’accident a eu lieu en Patagonie où le corps n’a pas été retrouvé. Cette situation triangulaire complexe a généré de lourdes démarches auprès des trois autorités administratives pour obtenir un certificat de décès afin que la mère
de sa fille puisse percevoir l’héritage. Je me suis également rendue en Patagonie. Peu après l’accident, les impôts m’ont contactée suite à une erreur de leur part sur la fiscalité de Korra pour me demander de régulariser cette somme, supérieure à mon ancien salaire.
L’après de l’accident est comme une deuxième avalanche. C’est la réactivité de Sandrine du FNSM et son accompagnement, aussi son écoute qui m’ont permis de poursuivre mes projets. Ensemble, on a travaillé sur mes projets. Aussi, la fondation Salomon a été particulièrement présente à mes côtés et je tiens à vous remercier, vous tous ainsi que l’équipe de Chamonix Expérience et les amis de Korra pour votre soutien et votre présence.